University of British Columbia
Le drôle d'oiseau de Flaubert: la problématique du perroquet dans la base de données ARTFL
William Winder
Un enjeu important de la critique informatisée est de comprendre comment les principes de la critique littéraire traditionnelle peuvent être évalués, réinterprétés et traduits sur support électronique. Il ne s'agit pas de démontrer que la critique traditionnelle soit erronée dans ses principes. Au contraire, une des voies des plus prometteuses de l'analyse textuelle électronique consiste à pousser ces principes traditionnels jusqu'à leurs conséquences ultimes (cf. Léon et Marandin). En même temps, il faut reconnaître que l'usage de nouveaux outils, tels que les bases de données textuelles, demande un effort d'adaptation tout aussi bien au niveaux théorique que pratique. En traduisant le discours traditionnel de la critique en un nouveau discours électronique, on s'aperçoit qu'il prend un nouveau sens, et nous amène à aborder de nouvelles problématiques. Autrement dit, une traduction n'est jamais totalement innocente; elle est toujours tendancieuse.
Nous présentons ici quelques-unes de ces tendances et nous cherchons à en évaluer les mérites. Nous confrontons la pratique de l'exploitation des bases de données textuelles avec la réflexion théorique sur l'intertexte, en essayant de comprendre comment les deux se complètent.
A la recherche des perroquets du 19e siècle
Dans une acception sémiotique de l'intertexte, tout système de signes peut être cité pour expliquer l'interprétation d'un texte et sa généalogie. Ainsi, Rastier remarque à propos de l'interprétation critique:
Toute connaissance issue d'une autre discipline est non seulement licite mais requise, dès lors qu'elle permet d'actualiser une relation sémantique conforme avec la cohésion du texte et les normes de son genre. (Rastier 7)
Autrement dit, puisque le texte est inséré dans une constellation de systèmes de signification, il faut mobiliser les connaissances diverses pour suivre le fil de la logique textuelle. C'est pourquoi il est légitime pour un critique comme Yves Bonnefis d'invoquer la peinture du 19e siècle pour expliquer la source du perroquet d'Un coeur simple:
Un vol de perroquets s'abat sur la peinture du XIXe siècle. Tout commence vers 1825.... (Bonnefis 66)
Tout de suite décriée, l'oeuvre [le tableau de Manet, appelé "La femme au perroquet"] excite les plus vives colères. Du moins le succès de scandale qu'elle obtient apporte-t-il une confirmation à l'hypothèse que c'est bien une peinture, le tableau de Manet, et à travers celui-ci les tableau de Courbet et de Delacroix, qui est à l'origine de l'argument d'Un coeur simple, Flaubert remontant à la source d'une fascination collective, lui dont la fascination est le tourment, lui qui a fait de la fascination son objet. (Bonnefis 67-68)
Selon Bonnefis, l'intertexte d'Un coeur simple serait un signe tiré d'un autre système sémiotique, le tableau de Manet -- Félicité serait ainsi la "femme au perroquet" de la littérature. Bien sûr, une base de données comme ARTFL n'offre pas de renseignement direct sur la peinture, mais si l'hypothèse de Bonnefis est juste, on peut s'attendre à ce que d'autres "perroquets" de ce scandale émigrent vers d'autres textes du 19ème. Nous regarderons donc comment les critiques interprètent ce perroquet célèbre, et en même temps nous chercherons à savoir dans quelle mesure leurs appréciations sont vérifiables ou même confirmées par les données, certes partielles, mais sûres de ARTFL. En effet, une recherche dans ARTFL révèle une quantité de "perroquet(s)"; est-ce qu'ils nous permettent d'affirmer avec Bonnefis qu'un vol de perroquets s'abat sur les textes du 19ème?
Signifiants à la recherche de signifiés: les perroquets se répondent
Une des difficultés des plus manifestes qu'on recontre quand on adapte la notion d'intertexte au média électronique, c'est le problème de la démultiplication; tout signe a le don d'ubiquité qu'il dérive de son statut de type logique. Ce problème se manifeste partout où on cherche à comprendre les signes. Julien Barnes, dans son Flaubert's Parrot, en donne une illustration élégante dans un domaine archi-traditionnel de la recherche biographique.
Geoffrey Braithwaite, le protagoniste de Flaubert's Parrot, va à Rouen quelques 100 ans après la mort de Flaubert, à la recherche du perroquet empaillé que Flaubert avait gardé si longtemps sur sa table de travail. Braithwaite y découvre en fait deux perroquets: l'un à la maison familiale de Flaubert, à Croisset, et l'autre au musée de l'hôpital de Rouen. Il explique ainsi sa déception à la découverte du deuxième perroquet:
The writer's voice -- what makes you think it can be located that easily? Such was the rebuke offered by the second parrot. (Barnes 22)
A la fin de ses efforts pour décider lequel des deux était le véritable perroquet de Flaubert, il découvre que ces deux ont été choisis parmi une cinquantaine de perroquets au Musée d'Histoire Naturelle de Rouen. Le livre et sa quête pour le vrai perroquet de Flaubert terminent lors d'une visite (hitchcockienne!) au musée:
Everywhere I looked there were birds. Shelf after shelf of birds, each one covered in a sprinkling of white pesticide. I was directed to the third aisle. I pushed carefully between the shelves and then looked up at a slight angle. There, standing in a line, were the Amazonian parrots. Of the original fifty only three remained. Any gaudiness in their colouring had been dimmed by the dusting of pesticide which lay over them. They gazed at me like three quizzical, sharp-eyed, dandruff-ridden, dishonourable old men. They did look --I had to admit-- a little cranky. I stared at ten for a minute or so, and then dodged away.
Perhaps it was one of them. (Barnes 190)
ARTFL, comme un gardien bienveillant du Musée de la littérature, nous amène jusqu'au rayon des perroquets. On y en trouve 750; on a envie, comme Braithwaite, de se sauver. Comment savoir lequel est le "vrai" intertexte d'Un coeur simple? C'est cette question de la démultiplication de l'information, du trop plein des données de recherche, que le nouveau média pose avec insistance à la théorie de l'intertextualité.
Ouvrages cités
Barnes, Julien. Flaubert's Parrot. London: Pan Books (Picador), 1984.
Bonnefis, Philippe. "Exposition d'un perroquet". Revue de sciences humaines, 53.181(1981): 59-78.
Léon, J. et J.-M. Marandin. "Sarrasine revisited: A perspective in text analysis". Computers and the Humanities, 20.3 (1986) : 217-224.
Rastier, François. Sens et textualité. Paris: Hachette, 1989.
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In review
Hosted at Queen's University
Kingston, Ontario, Canada
June 3, 1997 - June 7, 1997
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