Institut Catholique de Paris
1. Le projet de développement du service d’annotation vidéo Celluloid
Nous présenterons ici les résultats d’un projet de recherche, s’inscrivant dans une dynamique socio-constructiviste, intitulé
Celluloid ayant pour objet les usages de l’annotation vidéo en contexte d’éducation ou de recherche. L’annotation est l’une des pratiques essentielles de toute activité d’enseignement et de recherche. Elle consiste à inscrire des commentaires, dans les marges ou entre les lignes d’un texte (Pfersmann, 2011 ; Jackson, 2001), témoignant de la consultation active d’un contenu (Adler & Van Doren, 1972). Elle peut avoir une simple fonction d’aide-mémoire, ou permettre de mettre en évidence ou de dévoiler la compréhension d’un texte. Elle rend surtout possible le partage du fruit de cette lecture active avec un tiers, dès lors que le contenu annoté par un individu est porté à la connaissance d’un autre.
Définie en ce sens très large, l’histoire des pratiques d’annotation est pour ainsi dire aussi ancienne que celle de la production intellectuelle (Le Goff, 1957). Cette pratique ancienne est prolongée et renouvelée avec l’apparition des outils numériques (Jahjah, 2012). Si le principe reste le même, l’annotation numérique se distingue de trois manières. D’un point de vue proprement technique, elle correspond d’abord à un contenu pris entre deux balises informatiques qui le rendent matériellement indépendant et dissociable du contenu premier (Aubert & Prié, 2005). Elle permet ensuite d’instaurer une relation intermédiatique avec les textes, car si l’on peut toujours produire une annotation écrite, on peut aussi intégrer un hyperlien, une image, une vidéo ou du son. Enfin, le principe de l’annotation ne se réfère plus seulement aux textes : on peut désormais annoter des documents visuels ou sonores. L’annotation devient alors multimédiatique (Bourgatte, 2012).
2. Réaliser une ethnographie des usages et un état de l’art technologique
Dans le cadre du projet
Celluloid, nous sommes partis de l’observation de pratiques de chercheurs et d’enseignants. Pour cela, nous avons conduit une campagne d’entretiens semi-directifs auprès d’enseignants-chercheurs en SHS travaillant sur des matériaux vidéo (Tessier & Bourgatte, 2017). Cette ethnographie a révélé qu’ils méconnaissaient très largement l’existence d’outils d’annotation ou qu’ils préféraient s’en détourner par crainte de voir leur travail disparaître. Ainsi, ils étaient tous entrés dans une dynamique de « bricolage » (Lévi-Strauss, 1990 [1962]) consistant à réaliser des photomontages à partir de captures d’écran (qu’ils partagent ensuite avec leurs élèves ou étudiants sur des diaporamas) ou à utiliser un lecteur vidéo simple comme
VLC (en se servant à l’occasion des signets pour naviguer dans le contenu audiovisuel). Certains détournaient des outils de montage professionnel comme
Final Cut ou
Premiere pour en faire un usage fort éloigné de ce qui a été imaginé par leurs concepteurs (Méadel & Sire, 2017).
Nous avons dans un second temps analysé et comparé les dispositifs proposés par plusieurs plateformes d’annotations vidéo (à partir d’échanges avec des spécialistes et d’une fouille sur Internet), devant permettre de dépasser ces situations de “bricolage”. Nous mentionnerons
Lignes de temps qui est le premier outil d’annotation vidéo utilisé de manière systématique en France en contexte éducatif (Archat-Tatah & Bourgatte, 2014 ; Archat-Tatah, 2013). Imaginé en collaboration avec des professionnels du cinéma, il s’inspire pour cela des interfaces de montage filmique autant dans son fonctionnement que dans son ergonomie. Il est centré sur le caractère temporel du film et fonctionne selon un principe de fabrication de lignes d’analyse. Ce type d’interface et ces fonctionnalités se retrouvent dans de nombreux autres projets comme
Advene (Aubert & Prié, 2005), ou
Mediascope. À l’international, une somme d’autres technologies se distingue en proposant non plus des interfaces sous la forme du banc de montage, mais sous la forme d’annotations marginales, telles que
Vialogues,
VideoAnt ou
Pad.ma. Plus récemment, le projet
Rekall / MemoRekall a tenté de faire la synthèse de ces deux approches ergonomiques.
3. Développer le service
Cet état de l’art a permis de mettre au jour les difficultés de travail que rencontrent les enseignants et les chercheurs pour mettre en place des projets éducatifs ou de recherche faisant appel à la vidéo. Il a également révélé que les choix ergonomiques et technologiques qui sont faits par les développeurs freinent les dynamiques collaboratives. À partir de ces analyses, nous avons donc développé un outil avec l’objectif de rendre la pratique d’annotation vidéo plus efficientes et plus adaptées, mais aussi d’atteindre un certain nombre d’objectifs que nous nous étions fixés :
naviguer dans un contenu, puis annoter des points ou des segments. Pour cela, nous avons associé une visionneuse et ses fonctionnalités standards (lecture, pause, stop) à une boîte à outils permettant la conduite d’un travail d’annotation : insertion d’un texte, d’une image, d’une vidéo, d’un son, d’un hyperlien, de signes graphiques et stylisation de ces éléments (colorer, graisser, souligner, etc.) (Puig & Sirven, 2007).
faciliter les interactions (Baym, 2015). Pour cela, un enseignant ou un formateur doit pouvoir donner des consignes, répondre à des questions ou générer des échanges, tandis que les apprenants doivent pouvoir annoter les vidéos au fur et à mesure de leur consultation, soit en formulant des réponses ou des commentaires, soit en adressant des questions au professeur (Wilmott et al., 2012 ; Galbraith, 2004). L’outil doit donc favoriser la collaboration de plusieurs acteurs ayant des statuts différents.
désacraliser le film ou la vidéo, en prenant au sérieux la mutation des discours vidéographiques : sur le modèle des pratiques d’annotation textuelle qui se sont démocratisées avec la naissance du livre de poche,
nous promouvons une pratique d’annotation réalisée directement
sur la matière filmique. Techniquement, on insère donc des marques d’annotation sur une trame transparente qui est posée sur l’image. Au final, on obtient une constellation de marques sur la vidéo que l’on peut faire apparaître ou masquer à sa guise (la plateforme Youtube a longtemps proposé ce type de fonctionnalité avant de la supprimer). On entre ainsi en rupture avec les modèles d’annotateur vidéo les plus répandus qui reposent sur une économie d’écran dissociant les annotations du contenu annoté.
4. Tester Celluloid et disséminer
Une première version a été testée dans deux contextes différents en 2015 : dans le Playground du festival SXSWedu à Austin (Texas) aux États-Unis, puis dans un atelier organisé pour le THATCamp Paris. Ces deux événements nous ont permis de réaliser une série d’observations participantes avec plus d’une cinquantaine d’individus. À partir de ces premiers retours expérimentaux, une seconde version a été élaborée et finalisée en 2018. Cet outil, totalement libre et open source dont le code est partagé sur Github (https://github.com/celluloid-camp), peut aujourd’hui être utilisé à des fins de recherche personnelle ou à grande échelle, avec des groupes d’apprenants en situation réelle d’enseignement. Après s’être identifié, l’utilisateur peut se créer un compte, puis engager une activité en copiant/collant le lien d’une vidéo Youtube libre de droits qui sera alors directement streamée. Il peut aussi repartir d’une activité existante proposée par un collègue sur la plateforme. Ce projet pourra ensuite être partagé si on souhaite entrer dans une dynamique de collaboration.
Lors de cette communication, nous présenterons donc les différentes étapes de cette recherche, les premiers retours d’usages de notre solution, ainsi que les hypothèses que ces usages nous permettent de formuler quant à la place de l’annotation vidéo dans le cadre de recherches en humanités numériques.
Bibliography
Adler, M. J., & Van Doren, C. L. (1972). How to read a book. New York : Simon and Schuster.
Archat-Tatah, C., & Bourgatte, M. (2014). Vers des formes instrumentées d’enseignement et d’apprentissage : le cas de l’analyse de contenus audiovisuels.
Eduquer Former, (46), 69‑92. Consulté à l’adresse :
http://eduquer-former.icp.fr/?journal=ef&page=article&op=view&path%5B%5D=53&path%5B%5D=40
Archat-Tatah, C. (2013).
Ce que fait l’école avec le cinéma : enjeux d’apprentissage dans la scolarisation de l’art à l’école primaire et au collège. Rennes : Presses Universitaires de Rennes.
Aubert, O., & Prié, Y. (2005). Documents audiovisuels instrumentés. Temporalités et détemporalisations dans les hypervidéos, Document numérique, 8-4, 143-168.
Baym, N. K. (2010).
Personal Connections in the Digital Age (1 edition). Cambridge, UK ; Malden, MA: Polity.
Bourgatte, M. (2012). L’écran-outil et le film-objet. MEI, 34, 103
‑1120.
Galbraith, J. (2004). Active viewing: and oxymoron in video-based instruction? Society for Applied Learning Technologies Conference.
Jahjah, M. (2012). L’évolution des marginalia de lecture du « papier à l’écran ». Consulté à l’adresse : http://www.implications-philosophiques.org/actualite/une/levolution-des-marginalia-de-lecture-du-papier-a-lecran/
Le Goff, J. (1957). Les intellectuels au Moyen Age. Paris, France : Éditions du Seuil.
Méadel, C., & Sire, G. (2017). Les sciences sociales orientées programmes.
Réseaux, (206), 9‑34.
https://doi.org/10.3917/res.206.0009
Puig, V., & Sirven, X. (2007). Lignes de temps, une plateforme collaborative pour l’annotation de films et d’objets temporels. In
Proceedings IHM.
Pfersmann, A. (2011). Séditions infrapaginales : poétique historique de l’annotation littéraire (xviie-xxie siècles). Paris : Droz.
Tessier, L., & Bourgatte, M. (2017). Les outils d’annotation vidéo pour la recherche en Humanités numériques. In
Expérimenter les humanités numériques. Montréal : PUM. Consulté à l’adresse
http://www.parcoursnumeriques-pum.ca/les-outils-d-annotation-video-pour-la-recherche
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July 9, 2019 - July 12, 2019
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