Littérature comparée - Université de Montréal
1. Introduction
Les expériences sur support électronique de Joyce
(1989), Moulthrop (1995), Jackson (1995),
Amerika (1997) ont attiré l’attention sur le potentiel du médium électronique comme médium de création
littéraire. Elles ont également marqué l’avènement d’un nouveau type d’esthétique, s’intéressant principalement
au remplacement éventuel du livre imprimé par le
livre électronique (Bolter, 1991; Landow, 1997; Birkerts, 1994), au dilemme de la fin du livre et du livre sans fin (Douglas, 2000), à la capacité prospective de l’hypertexte (Joyce, 2000) ou de la littérature ergodique (Aarseth,
1997) et à la réconciliation de l’immersion et de
l’interactivité comme idéal artistique de la «littérature basée sur le langage» (Ryan, 2001).
A la différence des interfaces antérieures (tablettes,
rouleaux, codex), l’interface électronique suppose
l’existence de deux types de textes. D’un côté, le texte destiné au lecteur ou écrit par l’auteur, d’un autre côté, le code écrit dans un langage de programmation ou de balisage et déterminant le fonctionnement de l’interface. Cette interaction entre le texte visible et le texte caché,
entre les possibilités d’expression pratiquement
illimitées du langage naturel et les contraintes du langage
de programmation, représenterait un des éléments
centraux dans la production de nouvelles formes
textuelles électroniques. Il s’agit alors d’une dépendance à double sens : les codes existants aident à la création de nouvelles formes textuelles et ces formes inspirent à leur tour le développement de nouveaux types d’encodage de plus en plus souples.
2. Enjeux théoriques et pratiques
D’une perspective théorique, notre projet porte
principalement sur l’interaction littérature - science - technologie numérique, écriture - programmation, visuel - textuel, dans la création de nouvelles formes textuelles sur support électronique. Nous nous intéressons aussi aux implications de cette interaction sur le domaine de la critique littéraire et notamment aux enjeux d’une mise en relation de l’esthétique du médium électronique avec
d’autres champs de la critique contemporaine (close
reading, new historicism, critique génétique) et des sciences cognitives ou de l’information.
Du point de vue pratique, le projet consiste à expérimenter
une nouvelle forme de navigation et d’expression,
exploitable par l’intermédiaire de l’ordinateur. Plus
précisément, il s’agit de la conception d’un nouveau type
d’interface (un éditeur construit dans le langage de
programmation Java et utilisant des textes annotés en XML),
permettant à l’utilisateur d’augmenter ou de diminuer
le degré de détail du texte par une procédure qui
rappelle « l’effet de loupe » et la géométrie des fractales.
La principale caractéristique de ce type de textualité
serait la structuration par niveaux de profondeur,
accessibles par des opérations de zoom-in et zoom-out, le texte de chaque niveau se retrouvant augmenté sur les niveaux subséquents.
Inspirée par la construction fictionnelle de Stephenson
(2000) et par le concept de fractale de Mandelbrot
(1983), notre démarche se propose d’explorer les
nouveaux types de rapports auteur - texte - médium -
lecteur, de personnages, d’intrigue, de stratégie narrative,
de structuration des connaissances ou d’organisation
informationnelle suscités par ce genre de développement
conceptuel et textuel à plusieurs «échelles». De ce point de vue, notre intérêt porte sur les applications possibles de cette forme d’écriture et de lecture «sous la loupe», impliquant un parcours à mi-chemin entre la linéarité et la non-linéarité, entre l’immersion et l’interactivité,
caractéristiques habituellement reliées par les théoriciens
du médium électronique au livre imprimé et respectivement
à l’hypertexte. Dans ce qui suit, nous reprenons
brièvement quelques exemples.
3. Applications possibles
Une première application aurait comme point de départ le concept de close reading, une méthode d’analyse qui examine, à partir d’extraits de texte, le
style, les nuances de tons, les stratégies rhétoriques,
les hypothèses de nature philosophique ou socio-
linguistique (Gallagher et Greenblatt, 2000), et le
concept de new historicism, une approche qui met en
lumière certains aspects d’une oeuvre, en essayant de
reconstruire son contexte culturel et historique (Greenblatt,
2004). Ce que l’éditeur « sous la loupe » permettrait dans ce cas, est une sorte de fusion du texte avec l’analyse
historique ou littéraire, développée sur plusieurs niveaux de détails. Par un procédé d’expansion à différentes
échelles, on pourrait passer ainsi graduellement du
texte littéraire au contexte historique et culturel qui l’a engendré ou imaginer l’outil comme un instrument
d’annotation, faisant fusionner le texte, les commentaires
critiques et les notes marginales, dans un processus
complexe qui rejoint la lecture, la relecture et l’écriture.
Une deuxième application concernerait le domaine de la critique génétique qui s’intéresse aux mécanismes
de production textuelle, aux secrets de l’atelier, du
laboratoire d’écriture (Grésillon, 1994) et aux rapports existant entre l’écriture et son contexte culturel, entre l’acte de lecture et l’écriture en «train de se faire» (D’Iorio et Ferrer, 2001). De ce point de vue, une analyse «sous la loupe» impliquerait une organisation par niveaux, reliant la forme définitive, les différentes variantes manuscrites,
jusqu’aux premiers plans esquissant l’idée de départ du texte. Ce mode d’organisation textuelle mettrait en
évidence, de manière graduelle, les hésitations et la
dynamique de l’écriture ou les éventuelles traces des
lectures antérieures au texte.
Un troisième type d’application viserait l’expérimentation de différentes formes d’expression littéraire. On pourrait imaginer, par exemple, un texte auto-reflexif, qui décrive, par une accumulation graduelle de détails, le processus
de sa propre création, en retraçant à rebours le trajet de la lecture à l’écriture, de l’expérience vécue à l’expression
verbale, et où l’immersion par degrés de profondeur fasse partie de la stratégie narrative. D’autres approches pourraient concerner le développement des personnages dans un texte littéraire. Greenblatt (2004) suggère que, dans Venus and Adonis, Shakespeare utilise une technique
de rapprochement et d’éloignement du lecteur par
rapport aux personnages, en augmentant ou en diminuant le degré de «proximité physique ou émotionnelle». D’un autre côté, Alan Palmer (2003) fait référence au terme de «narration behavioriste» définie comme une narration objective, focalisée sur le comportement des personnages,
donc plutôt sur les actions que sur les pensés et
sentiments. Pourrait-on imaginer par conséquent une forme narrative permettant une alternance de proximité
et de distance par rapport aux protagonistes ou qui, à
partir d’une approche béhavioriste, sonde graduellement, les profondeurs psychologiques des personnages ?
D’autres applications du modèle pourraient viser : le domaine pédagogique (structuration des connaissances par degrés de complexité, de l’intuitif vers l’abstrait) ; la construction des dictionnaires ou des encyclopédies
(comme collections d’articles « extensibles » adressés
à une large catégorie de lecteurs) ; les sciences de
l’information (systèmes permettant des réponses par
degrés de précision aux interrogations-utilisateur), etc.
4. Conclusion
Bien sûr, il ne s’agit pas de dresser une liste exhaustive
des applications du modèle, mais de signaler quelques hypothèses d’étude. Le but de notre présentation serait ainsi une reconsidération de « l’effet de loupe » et de la géométrie des fractales en tant que métaphores pour une nouvelle forme de textualité électronique mettant en lumière certains aspects de la dialectique texte / analyse
textuelle ou historique, expression écrite / idée ou
expérience vécue, essentiel / détail, intuitif / abstrait,
précis / vague, dans la production et l’interprétation du texte ou de l’information en général.
The Book “under the Magnifying Glass”. New Metaphors for New Forms of Electronic Textuality
1. Introduction
The recent experiments on digital support of Joyce (1989), Moulthrop (1995), Jackson (1995) or
Amerika (1997) have drawn attention to the potential of the electronic medium as a medium for literary creation.
The emergence of the electronic literature has also determined the coming out of a new form of aesthetics
mainly concerning the possible replacement of the
printed book by its electronic counterpart (Bolter, 1991; Landow, 1997; Birkerts, 1994), the dilemma of the end of book versus the book without end (Douglas, 2000), the prospective capacity of the hypertext (Joyce, 2000) or of the ergodic literature (Aarseth, 1997), and the
reconciliation of immersion and interactivity as a “model
for purely language-based literature” (Ryan, 2001).
Unlike the previous interfaces (tablets, roll, codex), the electronic interface supposes the existence of two types of texts: on the one hand, the text intended to be read and on the other, the code written in a programming or markup language, and determining the performances of the interface. This interaction between the visible and the hidden text, between the huge potential of expression of the natural language and the constraints of the programming language, represents one of the central elements in the production of new forms of electronic textuality. This kind of dependence implies a double sense relationship:
the code supports the creation of new textual forms
and these forms can inspire new types of encoding,
increasingly flexible.
2. Theoretical and practical assumptions
From a theoretical point of view our project deals with the relationship literature – science – digital technology, writing - programming, visual – textual, in the creation of new forms of electronic textuality. We are
also interested in the implications of this kind of interaction upon the domain of literary criticism and especially in the possible relationships between the aesthetics of the electronic medium and other fields of the contemporary
criticism (close reading, new historicism, genetic
criticism), or of the information and cognitive sciences.
The present study consists in an experimental approach dealing with the unexplored possibilities of the electronic support as a medium for textual investigation. Its goal is the construction of a new type of interface (an editor written in Java programming language and using XML
annotated texts) allowing the writer and the reader to
increase or decrease the degree of detail of the text, by a procedure evoking the “magnifying glass effect” and
the fractals geometry. Inspired by the fictional construction
of Stephenson (2000) and by the fractal theory of
Mandelbrot (1983), this new kind of textuality would be a layout on levels of “depth”, accessible by operations of zoom-in and zoom-out, the text of the most abridged level being reproduced and appropriately augmented on the subsequent, deeper levels. The study deals with the new types of relationship author – text – medium – reader,
characters, plot, narrative strategy or knowledge
organization determined by this form of “scalable” textual and conceptual structure. The main question addressed by the study would be therefore related to the possible applications of this form of electronic text intended to be written and explored “under the magnifying glass”, and implying a halfway between linearity and non-linearity, immersion and interactivity, features usually associated with the printed book and respectively with the hypertext.
3. Possible Applications
The first application would be related to the concepts of close reading, a method using short excerpts from a text and carefully examining its style, rhetorical strategies, philosophical and sociological assumptions (Gallagher and Greenblatt, 2000), and of new historicism, an approach bringing to light some aspects of a literary work by trying to reconstruct its historical and cultural context (Greenblatt, 2004). The use of the magnifying glass editor would therefore allow a sort of fusion of the text with the literary or historical analysis, developed on several levels of detail. We could thus imagine the editor as a tool relating, at different “scales”, the literary text with the historical and cultural context having produced it, or with the critical commentaries and marginal notes, in a complex process of reading, re-reading and writing.
The second type of application would concern the field of genetic criticism interested in the dynamics of the
process of writing (Grésillon, 1994), and in the intertextual
dimension and reading/writing dialectics of the “work in progress” (D’Iorio and Ferrer, 2001). From this point of view, an analysis “under the magnifying glass” would imply a layout on levels relating the definitive form, through different variants, to the first plan sketching the idea of the text. This layout could therefore facilitate the understanding of the gradual dynamics of the act of
writing or the recognition of the eventual traces of
previous readings. Another type of application may
concern the narrative strategies. We can imagine, for
instance, a sort of auto-reflexive text, conceived as a set of reflections on the act of writing and trying to retrace by details accumulation the path backwards from writing to reading, from verbal expression to life experience, and involving different “degrees of immersion” as part of the storytelling.
Other approaches could be related to the development of the characters in a literary text. Greenblatt (2004)
suggests that in Venus and Adonis, Shakespeare uses a technique of approaching or distancing the reader from the characters, by increasing or decreasing his “physical
and emotional proximity”. On the other hand, Alan
Palmer (2003) discusses the term of “behaviorist narrative”
defined as an objective narrative focalized on the
characters’ behavior, i.e. on their actions rather than on their feelings and thoughts. Could we therefore imagine
a narrative allowing an alternation of proximity and
distance or starting with a behaviorist approach and
gradually investigating the psychological depths of the characters?
Other applications of the model could include: the
cognitive and pedagogic domain (knowledge organization
on levels of complexity, from intuitive to abstract
descriptions); the construction of dictionaries and
encyclopedias (as collections of expanding articles
intended to larger categories of readers); the domain of information science (systems providing several degrees of precision in response to users’ queries), etc.
4. Conclusion
Of course, there is not an exhaustive list of possible
applications, but rather some directions of study. Our presentation will concern the reconsideration of the
“magnifying glass” and fractal geometry as metaphors for a new form of electronic textuality, drawing attention to some aspects of the dialectics: text / textual or historical
analysis, written expression / idea or life experience,
essential / detail, intuitive / abstract, precision / vagueness, in textual production and interpretation.
References
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Palmer, A. (2003). The Mind Beyond de Skin. In Narrative Theory and the Cognitive Sciences. Edited by David Herman. Stanford, California: CSLI Publications.
Ryan, M.L. (2001). Narrative as Virtual Reality. Immersion
and Interactivity in Literature and Electronic
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Stephenson, N. (2000). The Diamond Age or A Young Lady’s Illustrated Primer. New York: A Bantum Spectra Book.
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