L’archéologie du paysage sonore : l’Histoire à portée de nos oreilles

L'archéologie du paysage sonore est un concept très récent. Elle tend a chercher/pister les traces sonores passees et disparues, tant dans les ecrits que dans les visuels et a les restituer. Elle propose un modele virtuel qui n’incarne pas une verite scientifique figee mais une proposition représentant l’etat de la science à l’instant de sa création et qui est voué à évoluer. C’est donc la restitution d’une possible realite d’un quotidien passe qui s’appuie sur des criteres scientifiquement valides.

L’archéologie du paysage sonore innove a differents niveaux et ses specificites portent sur :

• L’inter et la transdisciplinarité (association etroite entre les Sciences Humaines et Sociales et les Sciences de l’ingenieur) ;

• La valorisation du patrimoine par le sensible;

• La construction autour du son et une élaboration concomitante visuel/son.

• Elle comporte egalement des innovations en matiere d'edition scientifique :

• nouveaux prorédes editoriaux de type heterographique ;

• sonorisation de nouveaux medias impliquant la realite augmentee.

L’archéologie du paysage sonore est une réponse possible pour les musees, les maquettes a destination ludo-pedagogique et culturelle ainsi que tout support à même destination. Son caractère scientifique la distingue du sound design (plutôt axe composition artistique et bruitage (pour le cinema pour le theatre). Et, dans un premier temps, c’est pour satisfaire a la demande specifique des musees en matiere de « mise en sons » que les premieres reflexions en ce sens sont menees, apres avoir fait le constat que les réponses apportees ne leur donnaient pas totalement satisfaction.

Cette nouvelle branche des sciences humaines et sociales prend ses racines dans les etudes de R. Murray Schafer et son concept d’ecologie du sonore (Le paysage sonore - le monde comme musique, 1977, reedition 2010) et dans celles sur le sensible menees par A. Corbin (Les cloches de la terre, 1994, et plus récemment Histoire du silence, 2016). Cette prise de conscience des specificites de notre environnement qui forment un paysage sonore est a completer par une petite etude de J. P. Gutton (Bruits et sons dans notre histoire - 2000). Mais toutes ces etudes restent a l’etat theorique. Or, de nos jours, les technologies issues du multimedia nous offrent la possibilite de passer a retape experimentale et de proposer des restitutions respectueuses de l’Histoire et de ses cadres scientifiques.

S’appuyer sur le sensible, et notamment le sonore, pour valoriser le patrimoine permet de repondre a une demande souvent mal definie des conservateurs de musee ou des services d’archives qui desirent associer un volet multimedia lors de leurs expositions a des fins de rendre moins austere la présentation de leurs riches collections. En effet, a une epoque ou le multimedia modifie chaque activite de decouverte, agissant notamment sur la perception, il devient necessaire d’integrer cette dimension du sensible lors des présentations touchant au patrimonial.

Que ce soit dans le cadre d’une restitution de paysages urbains, d’ambiances d’interieur, ou autres, les problematiques restent identiques. La restitution ou création de paysages sonores historiques pose, d’entrée, des questions fondamentales : Peut-on « entendre » ce passe ? Comment le restituer, le faire entendre ? Quelles sont les difficultes, les limites d’une telle restitution ? Quels sont les materiaux ? Ou s’arréte l’acte du créateur-artiste-compositeur, celui du chercheur ? Comment depasser le concept d’habillage sonore (sound design) et aboutir la restitution d’un veritable paysage historique ? Comment integrer ces notions relevant du sensible, les porter au public ? Pour quel public ?

La demande museographique place le concepteur aux confins de la composition, de la musicologie et de l’histoire. Un « simple » habillage sonore (sound design) ne peut, en effet, satisfaire cette demande trés specifique qui entre, egalement, dans les cadres de la sauvegarde du patrimoine immateriel.

En effet, pour le musicologue, le compositeur ou le metteur en sons, ce travail est inhabituel. Les materiaux ordinaires sont quasi inexistants : pas d’enregistrements disponibles pour les annees anterieures a 1870. Entendre le passe implique donc qu’il faut en chercher les traces dans l’ensemble du corpus littéraire (livres, journaux, etc.) ou graphiques. Puis, tenter de le pister dans le temps d’aujourd’hui afin d’en faire une captation. Puis le restituer de maniere a le rendre compréhensible et en neutralisant le discours afin de faire acte de témoignage (une narration d’historien et non une œuvre de compositeur, ou l’acte emotionnel est important et conduit le discours musical).

Pour le visiteur, l’ambiance sonore ainsi (re)créee doit guider son imaginaire pour l’aider a mieux percevoir, recontextualiser des situations historiques, tout en préservant la realite historique et le laisser maître de ses ressentis et emotions personnelles : trouver le juste milieu, l’equilibre dans la sollicitation de cet imaginaire pour mieux servir le patrimoine et le mettre en valeur.

Entre le constat ou émission d’un besoin et son résultat, se situe le travail de l’archeologue du paysage sonore. Des les prémices, il faut recueillir un certains nombre d’informations, notamment techniques, aupres des conservateurs afin de cerner au mieux la forme que peut ou doit prendre le rendu sonore. L’expérience nous a montré que de nombreuses contraintes techniques etaient présentes, notamment des contraintes materielles et logicielles. Parmi celles-ci, l’obsolescence présente un réel frein pour les musees car elle représente un cout financier important. Il devient donc evident de mettre au service des musees, des historiens ou des archivistes une représentation audio qui respecte leurs propres contraintes techniques.

Puis viennent les deux phases de « récolte ». La premiere necessite le moissonnage de sources hetérogenes (textuelles diverses et visuelles). Initialement artisanale (faite manuellement), actuellement, nous nous orientons vers la mise au point d’outils d’extraction multisources s’appuyant sur le Text-Mining et la fouille d’image de document (Data Mining), ainsi que l’elaboration ontologies grâce a l’appui de nos collegues des sciences de l’ingenieur. D’autre part, des protocoles seront elaborés pour la phase captation, actuellement plutôt experimentale. La collecte sonore se fait par captation de sons et d’ambiances réelles - preuve des traces de ce passe dans notre présent.

La derniere phase reste, pour l’instant manuelle. La restitution des ambiances sonores doit « caler » au plus proche du support et de la demande et peut prendre des formes differentes, selon que l’on travaille pour un espace, un support video ou un support maquette. Cette partie du travail prend donc des formes differentes et leur mise en oeuvre empruntent à la fois au cinéma et au jeu vidéo - tout en visant un résultat different, puisque la restitution se veut ne pas vehiculer demotions, mais uniquement susciter des ressentis.

La presentation s’articulera sur les differentes phases d’elaboration. Les presentations sonores seront issues de mes travaux :

• la maquette qui sert de matrice a la recherche (Bretez II - projet de restitution de Paris au XVIIIe siècle.). Ce projet relève de la recherche empirique et d’une methodologie experimentale ayant pour objectif la mise au point d’un modele.

• Mes travaux sur les fresques sonores historiques, qui entrent dans le cadre de commandes pour les musees (musee archeologique de la crypte Notre-Dame/Carnavalet, Le Louvre et Versailles) permettent également de nourrir ma reflexion.

C’est l’ensemble de ces experiences qui me permettent d’elaborer mes trames et methodologies.