Matérialiser et rendre perceptible la transmission orale du savoir, L'édition électronique des cours d'Antoine Desgodets à l'Académie royale d'architecture en France, 1719-1728

paper, specified "long paper"
Authorship
  1. 1. Robert Carvais

    CNRS (Centre national de la recherche scientifique)

  2. 2. Emmanuel Chateau

    École Nationale des Chartes - Université PSL, Université Paris-Sorbonne, Paris IV (Paris-Sorbonne University)

Work text
This plain text was ingested for the purpose of full-text search, not to preserve original formatting or readability. For the most complete copy, refer to the original conference program.

Introduction
Notre propos porte une réflexion sur la manière d’exposer et d’analyser une oralité. Dans le cadre d’un projet collectif, nous avons produit une édition critique numérique des cours d’Antoine Desgodets à l’Académie royale d’Architecture, en France, de 1719 à 17281. Avec cet enseignement, l’architecte opérait une rupture par rapport à ses prédécesseurs (François Blondel et La Hire père et fils) en proposant de mettre en ordre les savoirs d’une discipline professionnelle alors en formation, l’architecture. La particularité du matériau étudié réside dans le fait que les cours ne nous sont parvenus qu’à travers une tradition de manuscrits épars, dispersés dans plusieurs bibliothèques à travers le monde ; aucun des témoins ne semble être autographe. Les quatre thèmes abordés (les ordres, la commodité, les servitudes et le toisé) font l’objet d’une édition critique et ce sont au total trente trois manuscrits et textes imprimés qui ont été traités. En dehors de faire entrer des sources inédites dans l’histoire de l’architecture, des mathématiques et du droit, un des enjeux spécifiques du projet consistait à poser les jalons d’une réflexion sur la façon de traduire, et de mettre à disposition de la communauté des chercheurs, ce passage de l’oralité à l’écrit, puis dans certains cas à l’édition. Ici, tout en plaçant le projet dans le contexte des digital humanities, l’utilisation de méthodes d’édition électronique XML-TEI s’est révélée particulièrement adaptée2. Ce sont les particularités de notre corpus protéiforme qui nous ont amenés à apporter notre contribution à cette problématique : d’abord l’instabilité du texte par le nombre des témoins conservés ; la place et le rôle des images dans le discours ; enfin la forte diffusion du texte juridique par ce que nous nommerons « l’édition à valeur ajoutée ».

1/- Traduire la labilité du corpus
Le corpus rassemblé contenait plusieurs états du prononcé de certains cours (ordres et toisés). De ce fait, notre but n’a pas été – même si nous en avons été tentés – de reconstituer une version unique de ces cours mais d’en conserver toute la fluidité. Les statuts si différents des témoins reproduits, sans que l’on sache précisément s’ils proviennent d’une dictée académique, d’une copie sur un texte maître disparu laissé à l’académie pour que les absents récupèrent le savoir ou de la simple copie par un clerc pour enrichir une bibliothèque privée ou par un praticien en quête de méthode, empêche de les traiter comme des textes identiques. L’oralité réside ici tant dans les traces de prononciation ou les problèmes d’écoute que dans la multiplicité des versions qui témoignent des différents prononcés du cours. Etant donné que ceux-ci sont dans leurs majeures parties semblables, mais jamais tout à fait identiques, seuls les moyens informatiques nous autorisent à ne pas figer définitivement ce savoir. Le jeu des variantes rendues en ligne propose une double lecture – à la fois rétrospective mais aussi prospective – des témoins sous l’œil averti du chercheur. La première fouille les détails pour requalifier le témoin et se rapprocher de l’oralité originelle ; la seconde plus globale donne une idée d’un savoir voué à encadrer une nouvelle profession. Sans les spécificités de structuration et de précision sur les hésitations manuscrites offertes par les DH, et en particulier l’utilisation d’un balisage XML-TEI, ce matériau variant et composite serait resté insaisissable et intraitable par les procédés classiques de l’édition. L’alignement des témoins au sein du corpus a été déployé dans un fichier externe en utilisant la méthode de localisation référencée. La production d’artefacts numériques offre aux chercheurs l’opportunité de collecter les textes, de les analyser et de les mettre les uns en rapport avec les autres avec la souplesse inhérente au support numérique par l’intermédiaire d’une interface graphique centrée sur la comparaison.

2/- Dire les images au-delà de les montrer
L’architecture est une discipline pour laquelle le dessin n’est pas seulement primordial mais indispensable. Dans la plupart des pratiques architecturales, le dessin est le seul discours de l’architecture, le texte d’accompagnement ne sert souvent que d’explicitation des figures, voire de légende. Trois des cours de notre corpus contiennent des images, soit sous forme de planches comportant des plans ou des coupes et élévations (dans les ordres et les commodités), soit des détails décoratifs d’architecture, des croquis techniques de machines ou de figures géométriques (dans les toisés). Nous ne sommes pas face à des traités d’architecture imprimés, ouvrages savants classiques et référents, mais devant des cours pratiques prononcés devant un parterre d’élèves. Le texte ne fait alors qu’éclairer l’image, la commenter. Celle-ci devrait se suffire à elle-même. Le discours ne serait en quelque sorte que la forme orale de l’image exposée. L’éditorialisation numérique offre la possibilité de montrer les dessins dans leurs variantes et dans leur contexte, bref de les comparer et de les associer avec les textes correspondant par des mécanismes d’alignement et des modalités de consultation différentiées, si tant est que nous soyons parvenus à lever les freins concernant les droits de diffusion. Un tel dispositif replace davantage les illustrations dans leur rôle pédagogique initial et les textes dans celui d’hypertexte, comme si nous avions dû les « dire ».

3/- La mise en abyme des discours
Pour les servitudes, nous n’avons découverts que deux manuscrits non pas du même cours mais préparatoires de celui-ci. Le premier est une compilation de sources, le second un commentaire d’une source principale. Or, d’après ce que nous en savons par ailleurs, le cours a été composé à partir du second complété par des éléments du premier. De surcroît, et c’est la particularité de ce cours de droit, il est le seul à avoir été publié de manière posthume. On peut dire que cette édition connaît un énorme succès si l’on sait que le texte a été commenté, mis à jour, complété, restructuré, annoté par plusieurs mains et compétences une trentaine de fois pendant un siècle. Les méthodes d’édition électronique nous ont permis de rendre compte et d’autoriser l’étude des continuateurs et suiveurs du texte par une sorte d’alignement successif des variantes (comparaison de textes, indexations). Il ne s’est pas agi de faire une édition génétique textuelle – désormais classique pour les œuvres littéraires –, à laquelle nous n’avons pas pu échapper d’ailleurs pour ce qui concerne la source coutumière, mais surtout de suivre les filiations d’idées dans le futur, bref d’avancer dans le temps plutôt que de reculer. La coutume est intrinsèquement le véhicule d’un contexte validé par sa diffusion sous forme imprimée, elle a sans cesse été glosée et revisitée. Nous aurions aimé pouvoir retrouver des manuscrits d’étudiants mais tous les textes rassemblés sont tous rattachés au commentaire de Desgodets. Le dispositif de consultation mis en place facilite l’analyse de tels enchâssements de textes afin de mettre au jour, selon les travaux de D. F. McKenzie, un « texte social » agrémenté d’un contexte historique, ce qui se révèle particulièrement riche pour des concepts juridiques qui évoluent lentement toujours en rapport avec leur environnement social, politique et économique. C’est la constitution de ce « texte social » que nous voudrions maintenant pouvoir rendre explicite au moyen de visualisations.

Conclusion
Notre méthode numérique d’édition critique de cours appliquée à Desgodets mériterait d’être appliquée à d’autres matériaux inédits qui ont participé à transmettre du savoir. Le fait de ne pas s’arrêter à la publication d’un cours autographe mais à sa perception par les élèves et les praticiens, donne l’occasion de poser les bases d’une réflexion sur la normalisation de la discipline architecturale, la faisant passer d’un académisme engourdi à une solide professionnalisation. Le dispositif de consultation produit, qui est d’abord un dispositif d’étude, entend offrir au chercheur l’opportunité d’explorer avec fluidité toute la richesse de cette tradition de l’oral à l’écrit à travers le support numérique.

References
1. L'édition électronique des cours d'Antoine Desgodets sera accessible en ligne au début de l’année 2014 à l’adresse suivante : www.desgodets.net. Une équipe interdisciplinaire de quinze chercheurs a participé au projet qui a été financé par l'Agence nationale de la Recherche (ANR) de 2008 à 2013. Les membres de l'équipe étaient Joëlle Barreau, Basile Baudez, Anne Bondon, Robert Carvais, Pierre Caye, Emmanuel Château, Guillaume Fonkenell, Béatrice Gaillard, Juliette Hernu-Bélaud, Frédérique Lemerle, Olga Medvedkova, Linnéa Rollenhagen-Tilly, Hélène Rousteau-Chambon, Joël Sakarovitch, Werner Szambien et Dirk Van de Vijver.

2. Plusieurs projets pionniers en histoire de l’art ont constitué des modèles structurants (Blake Archive, Rossetti Archive, etc.). Hormis la récente et excellente édition de la correspondance de Van Gogh, les projets d’édition électronique de sources primaires en histoire de l’art restent peu nombreux.

Computers and the Humanities, Image-Based Humanities Computing, vol. 36, n° 1, feb. 2002.

Burnard, L, O’Brien, K., O’Keeffe, Unsworth, J. (eds.) (2006), Electronic Textual Editing. New York:The Modern Language Association of America.

Hayles, K. (2004), “Print Is Flat, Code Is Deep: The Importance of Media-Specific Analysis”. Poetics Today, 25, p. 67-90.

Hayles, K. (2003), “Translating Media: Why We Should Rethink Textuality”, The Yale Journal of Criticism, 16(2), p. 263-90.

Kirschenbaum. M. (2001), "Materiality and Matter and Stuff: What Electronic Texts Are Made Of." Electronic Book Review, 1 Oct. 2001. http://www.electronicbookreview.com/thread/electropoetics/

McCarty, W. (2006), Humanities Computing. New York: Palgrave MacMillan.

McGann J. (2006), “From Text to Work: Digital Tools and the Emergence of the Social Text”. Romanticism on the Net, n° 41-42, février-mai 2006. http://id.erudit.org/iderudit/013153ar.

McKenzie D. F. (1986), Bibliography and the Sociology of Texts. The Panizzi Lectures 1985. The British Library: London.

McKenzie D. F. (1962), Making Meaning. “Printers of the Mind” and Other Essays. Ed. Peter D. McDonald and Michael Suarez, SJ. U. of Massachusetts Press: Amherst and Boston, 2002.

McLuhan M., The Gutenberg galaxy, the making of typographic man. Toronto: University of Toronto Press.

Shillingsburg P. L. (1996), Scholarly Editing in the Computer Age: Theory and Practice, 3e édition. Ann Arbor: University of Michigan Press.

Shillingsburg P. L. (2006), Gutenberg to Google: Electronic Representations of Literary Texts. Cambridge University Press.

Waquet F. (2003), Parler comme un livre. L'oralité et le savoir, XVIe-XXe siècles. Paris : Albin Michel.

Waquet F. (2008), Les enfants de Socrate, Filiations intellectuelles et transmission du savoir XVIIe-XIXe siècles. Paris, Albin Michel.

If this content appears in violation of your intellectual property rights, or you see errors or omissions, please reach out to Scott B. Weingart to discuss removing or amending the materials.

Conference Info

Complete

ADHO - 2014
"Digital Cultural Empowerment"

Hosted at École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), Université de Lausanne

Lausanne, Switzerland

July 7, 2014 - July 12, 2014

377 works by 898 authors indexed

XML available from https://github.com/elliewix/DHAnalysis (needs to replace plaintext)

Conference website: https://web.archive.org/web/20161227182033/https://dh2014.org/program/

Attendance: 750 delegates according to Nyhan 2016

Series: ADHO (9)

Organizers: ADHO