Le labo junior « Nhumérisme » (ENS Lyon), observateur et acteur du « cultural empowerment » français

Un labo junior est une structure de recherche interdisciplinaire unique créée par l'ENS de Lyon. Il a pour vocation de donner à des doctorants et jeunes chercheurs, issus d'horizons disciplinaires et géographiques variés, une première expérience de la recherche, dans toutes ses dimensions : depuis la mise en œuvre d'un projet scientifique collectif, que dans ses aspects les plus pratiques, logistiques voire « politiques » (gestion et de « management » d'une équipe de recherche, démarches de financement). Créé en avril 2013, le tout jeune labo junior « Nhumérisme », d'abord dédié à des « humanités numériques » mal définies, tend à glisser vers un « humanisme numérique » à construire. Le néologisme « nhumérisme », né de la contraction entre « numérique » et « humanisme », postule que le « numérique », au-delà des outils et d'une dimension purement technique voire technicienne, est un fait de société et de civilisation, un processus qui reconfigure nos héritages, nos savoirs et nos pratiques, nos valeurs, nos rapports aux autres et au monde. Plus qu'un fait, la civilisation numérique nous apparaît comme un projet, une exigence éthique et pratique. A ce titre, notre « labo junior » s'inscrit doublement dans ce phénomène de « cultural empowerment » : non seulement en tant qu'observateur, mais aussi comme acteur même de cette « montée en puissance du numérique ».

Nhumérisme, observateur critique du cultural empowerment.
Le numérique en est l'objet d'étude même de notre labo junior, dans une perspective critique : loin de le considérer comme allant de soi, nous cherchons dans le cadre de nos divers ateliers et séminaires, à mettre en question sa définition et son existence même, à en retracer l'histoire et en cerner les perspectives, à replacer cette « montée en puissance du numérique » dans le temps long de l'histoire des techniques et de la culture, pour faire la part des permanences et des mutations, et déconstruire le mythe d'une « révolution numérique ». Si cette démarche épistémologique se nourrit d'une culture « humaniste » ancienne, de compétences « traditionnelles » acquises au cours de nos cursus en sciences humaines et sociales, nous tentons aussi de définir et d'acquérir de nouvelles « littératies » pour évoluer dans ce nouvel environnement numérique. Nous pensons qu'il est nécessaire de recomposer nos héritages, de développer des savoirs, savoirs-faire et compétences spécifiques permettant de s'approprier les nouveaux outils et medias, afin de rester maître de la production et la diffusion des connaissances scientifiques. Ainsi, notre première journée d'étude intitulée « la tour de Babel numérique » (octobre 2013) visait à appréhender la diversité des approches et des « langues » autour du numérique, pour en éprouver l'unité et en proposer une définition plurielle. Par la suite, des conférences plus « thématiques » cerneront des domaines plus ciblés : bandes dessinées numériques (novembre 2013) ; design et SHS (décembre 2013), réseaux (février 2014) ; livres, écritures et lectures à l'ère numérique et digitale (avril 2014), datavisualisation (dans le cadre du That Camp Lyon - octobre 2014). Notre premier atelier intitulé « Mapping DH » (novembre 2013) réfléchit aux questions de nomination, à l'élaboration d'un dictionnaire critique ou d'une encyclopédie des humanités numériques, collaboratifs et actualisables, une cartographie, une sociologie des humanités numériques (ses lieux, ses institutions, ses réseaux, ses acteurs), et une histoire des digital humanities, ainsi qu'une bibliothèque virtuelle des grandes références et ressources en humanités numériques.

Nhumérisme, acteur du cultural empowerment.
Nhumérisme est un bon observatoire pour les sociologues des sciences qui étudient la fabrique des projets « numériques » dans leur complexité voire leur ambivalence. Sorte de projet « éprouvette », notre labo junior se sert des institutions tout les servant (mais sans leur être asservi...). Bien que labellisé et financé par l'ENS de Lyon, qui a perçu dans l'étiquette « numérique » de notre projet une manière d'accroître sa visibilité et de suivre un effet de « mode », nous disposons toutefois d'une grande liberté dans le choix des thématiques et des actions que nous menons. La souplesse et la jeunesse de la structure autorise des expérimentations originales et des prises de rique qui intègrent la possibilité de l'échec, moteur même de la connaissance scientifique, pourtant condamné par les politiques de recherche actuelles, les logiques et la temporalité mêmes des projets (court-termisme, obligation de résultats). Acteurs et même médiateurs du cultural empowerment, nous jouons un rôle d'interface entre des communautés séparées, entre projets et des structures épars. Au sein du monde académique d'abord, nous faisons souvent le lien entre différents métiers (chercheurs, ingénieurs ou techniciens), laboratoires, disciplines, générations (junior/senior). Nous tentons également d'établir des ponts entre le monde académique, d'un côté, et le monde non académique, de l'autre (artistes et designers, entreprises et décideurs politiques, grand public et citoyens). Nous pensons que le numérique peut être une opportunité pour le chercheur de « sortir de sa tour d'ivoire », de travailler et collaborer avec d'autres professions, de réaffirmer son importance sociale et de réveiller l'intérêt du public pour la fabrique de la connaissance scientifique en SHS. Au risque d'un angélisme voire d'un évangélisme numérique, peut-être naïf et moralisateur, mais pleinement assumé, nous pensons les digital humanists investis d'une mission critique et pédagogique pour accompagner les citoyens que nous sommes face au déferlement numérique et au danger de l'analphabétisme numérique.